jeudi 1 septembre 2011

Et pendant ce temps...

... à Vichy.

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Depuis mercredi 31 août, les personnes qui ont eu l’occasion de se balader à Vichy, et plus particulièrement sur les rives du Lac d’Allier, ont peut être observé un étrange spectacle à proximité du Pont de l’Europe : sans crier gare des centaines de véhicules se sont rangés en rang d’oignons sur le parking du Parc Omnisports, cependant que tous les accès à la zone dudit Parc Omnisports étaient bloqués par des cerbères de sociétés de sécurité privées.
Conséquences : l’obligation de faire un détour important en empruntant des chemins fort peu pratiques, conjuguée au sentiment que vous avez peut-être déjà éprouvé un jour lorsqu’un caïd de banlieue s’est planté devant vous en vociférant : « c’est MA rue : bouge de là ! »








Jusqu’à la parution d’un article dans le quotidien « La Montagne », jeudi matin, une rapide enquête auprès de passants n’assouvissait sans doute pas immédiatement votre curiosité… Dialogue type :
« Que se passe t-il ?
– Oh… c’est un congrès !
-Oui mais quelle sorte de congrès ?
-Je n’en sais rien. »

Effectivement, la taille de la manifestation (entre 1000 et 2000 participants) semble inversement proportionnelle à la publicité qui en a été faite : aucune trace, par exemple, sur le site internet de la mairie de Vichy alors que, dixit un policier municipal de Bellerive sur Allier, les locaux et les terrains utilisés sont la propriété de la mairie de Vichy cependant que la zone dans son ensemble est située sur la commune de Bellerive sur Allier (le site internet de cette dernière commune est inopérant).

Si vous avez appelé la mairie jeudi matin, vous aurez probablement eu cette réponse : « C’est un Congrès privé, je n’en sais pas plus. »
Du côté du standard téléphonique du Centre Omnisports on est encore moins disert : « Je ne suis pas habilitée à donner des renseignements. »
Au cas où vous auriez contacté le fameux journal La Montagne ce même jeudi matin et intelligemment ciblé l’antenne de Vichy, cela aurait donné ceci : « Je viens de rentrer de vacances, je ne sais rien… il n’y a rien dans les archives… » Ce qui est stricto sensu exact puisque le journal du jour ne peut-être considéré comme une « archive ». Reste soit la mauvaise foi, soit l’incompétence…

Puis, en continuant votre petite enquête auprès d’une commerçante sympathique au physique agréable, on vous aurait répondu : « ce sont les francs-maçons : ils tiennent leur réunion ! »
Ah bon.
Direction l’Office de tourisme de Vichy :
« Bonjour Mesdames. Que se passe t-il du côté du Pont de l’Europe SVP ?
vous voulez dire la manifestation ?
-oui.
-c’est un congrès.
-mais encore ?
-gênée, se tourne vers sa collègue. La collègue, vous observant comme si vous étiez un brochet pas frais : c’est le Grand Orient de France !"

De fait… en y regardant de plus près :




















Voici le seul document administratif censé donner une base légale à cette mascarade :






















Et voici à présent quelques conclusions rapidement compilées :

Contrôle de la légalité

Ouverture du REP

LEGALITE EXTERNE :

Vice de forme :

L’acte ne comporte ni la signature de son auteur (monsieur le maire de Bellerive sur Allier, en l’occurrence, ni la mention des noms et prénoms de celui-ci). Ce qui est contraire à l’article 4 de la loi n°2000-231 du 12 avril 2000. (voir CE 11 mars 2009, commune d’Auvers sur Oise).
Dans l’hypothèse selon laquelle Madame Marie-Claude Lafont « adjointe déléguée » serait l’auteur de l’acte, celui-ci serait alors entaché de nullité pour incompétence ratione materiae)

LEGALITE INTERNE

a) détournement de pouvoir :

Détournement de pouvoir dans un intérêt privé (voir CE 5 mars 1954) :
Il apparaît que cette manifestation est une réunion de l’association de loi 1901 « Le Grand Orient de France » : du 31 août au 3 septembre cette société secrète organise dans les bâtiments du Parc Omnisports de Bellerive sur Allier un « convent ».
Ainsi, contrairement à ce que l’acte prétend dans son protocole, il ne semble pas être question de « réglementation du stationnement » pour « l’organisation de manifestations sportives », mais plutôt d’une aide complice apportée par une collectivité territoriale à une association philosophique à caractère fermé, n’ayant, par truisme, aucune dimension publique.
L’absence de tout affichage (y compris de l’acte présentement attaqué) à proximité immédiate des lieux ou de toute campagne d’information adaptée à un évènement de cette envergure (plus d’un millier de participants) prouvent le caractère privé de cette réunion, tout autant, par exemples, que l’accueil fait par les standardistes du Centre Omnisport à une demande de renseignements, ou encore l’impossibilité faite aux passants par des agents de sécurité privés d’entrer dans le périmètre de la manifestation.

b) violation de la loi :

erreurs de droit :
Il découle de ce qui précède que l’invocation de l’article L. 2212-2 du CGCT constitue une erreur de droit puisque ledit article ne dispose que pour la chose publique.
Cette remarque est valable également en ce qui concerne l’invocation de l’article R417-10 du Code de la Route.

Erreur de faits : il découle également de ce qui précède que l’acte faisant grief comporte des inexactitudes matérielles de faits :
Organisation non de « manifestations sportives » mais d’un congrès privé d’une obédience maçonnique.
Les articles 1, 2 et 3 du dispositif sont ineptes puisque sans rapport aucun avec la réalité : toute personne pourra témoigner que les contraintes concernant le stationnement résident dans l’impossibilité faite aux non-participants à la manifestation de garer leurs véhicules sur le parking du Palais du Lac. Toute personne pourra également témoigner que les contraintes concernant la circulation résident dans l’impossibilités faite aux non-participants à la manifestation (piétons, cyclistes et autres), de se déplacer librement dans la zone du Parc Omnisports.

Voici « un premier jet » fait dans l’urgence.

Quelques remarques rapides d’ordre juridique:


La preuve du détournement de pouvoir incombe au requérant et elle est difficile mais, en cas de présomptions sérieuses, le juge peut retourner la charge de la preuve (voir CE 28 mai 1954 Barel).

Il ressort de la jursiprudence que l’acte administratif doit servir l’intérêt général (voir notamment CE, 20 juillet 1971, Ville de Sochaux) : c’est un point qui devra être travaillé.

Depuis C.E., 1er juin 1906, Alcindor (S.1908.III.138) : le REP est possible même lorsque la loi n’a pas accordé un droit : la simple lésion ou le simple froissement d’un intérêt est suffisant.

Intérêt à agir : article 30 & 31 du NCP en date du 1er septembre 2011 (voir C.E. 6 octobre 1965, Marcy (R.493))

Catégorie pratiquant d’une discipline sportive C.E. 14 février 1958, Abisset (R.98) conclusions Long

Catégorie des usagers du service public : CE 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix de Seguey Tivoli (R.962) avec les concl. Romieu
(personne morale faisant valoir un intérêt collectif)

Par sa décision du 12 juillet 1979 le CC a reconnu à la liberté d’aller et venir une valeur constitutionnelle. Le CE, quant à lui, a reconnu à la liberté d’aller et venir le caractère de liberté fondamentale dans sa décision du 9 janvier 2001 : « la liberté d’aller et venir (…) constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L 521-2 précité. » Cette liberté ne peut faire l’objet de restrictions non strictement justifiées par les exigences du maintien de l’ordre public. (Voir CE ordonnance de référé du 27 juillet 2001).


L’atteinte à une liberté fait partie de la catégorie des préjudices moraux indemnisables (voir CE, 7 mars 1934, Abbé Belloncle ou CE, 4 novembre 1966, Société « Le témoignage chrétien »). Seule la réparation en argent étant possible (CE, 27 janvier 1933).


Les associations, même non déclarées peuvent faire l’objet d’un REP (CE, 31 octobre 1969, Syndicat de défense des canaux de la Durance (CJEG, 1970, p.154 )

CONCRETEMENT : toutes les personnes qui estiment avoir été lésées (à différents points de vue) par cette charmante plaisanterie orchestrée en catimini peuvent faire parvenir leurs noms et prénoms aux adresses électroniques ou postales indiquées sur ce blog, de telle manière à pouvoir créer une association informelle susceptible de déclencher un REP par ministère d’avocat spécialisé –à désigner. (Le recours est recevable dans le délai de deux mois à compter de la publication ou de la notification de l’acte attaqué R.421-1 CJA. Les délais courent à compter de la date à laquelle la requête est reçue par le greffe du TA CE 6 janvier 1995)

La manifestation se terminant le 3 septembre, notons qu’il serait théoriquement possible de saisir le juge des référés qui statuerait, conformément à la loi, sous 48 heures, dans le cadre d’un Référé Liberté (L.521-2 du CJA)

Une observation d’importance : L’article 5 de la Déclaration des Droits de l’Homme (bloc de constitutionnalité) dispose : « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas."
Par conséquent, y compris en reconnaissant la légalité de cet arrêté municipal jusqu’à ce que l’Ordre Administratif ait statué, n’importe quelle personne est en droit de poursuivre son chemin comme d’habitude autour du Lac d’Allier : les agents de sécurité n’ont aucun motif légal de vous arrêter. S’ils le font, vous pourrez -bien sûr- contacter la Police afin que, conformément à la Loi, elle empêche les agissements desdits agents de sécurité.

S’il elle ne le faisait pas ce serait très grave. (D’une « immense gravité » pour reprendre une récente expression de Delanoë ?)


En conclusion, on appréciera ces propos rapportés du nouveau Grand Sachem, Guy Arcizet qui s’inquiétait de la « [destruction] du tissu social » (sûrement en se félicitant de la chaleureuse logistique du Convent de Vichy): « Nous sommes engagés pour trouver une voie éloignée des combats partisans » - terme qui fait d’ailleurs parfaitement écho à l’indignation du susmentionné Bertrand Delanoë au sujet d’écoutes illégales qui constituent selon lui « une atteinte délibérée à une liberté fondamentale par des services de l’Etat utilisés à des fins partisanes »…
Un peu comme la mise à disposition des services de police pour le Grand Orient de France peut-être? (sans préjudice de la pertinence intrinsèque du propos, du reste).

Parmi les valeurs séculaires défendues par la Franc-Maçonnerie, on connaît la Laïcité.
Il ne faut surtout pas oublier l’Hypocrisie et le Culot.


En tout cas, il serait grand temps que certaines personnes comprennent que le fait d’avoir un tablier autour de la taille ne donne pas tous les droits.

Pierre-Louis Guyot.

PS: les personnes intéressées par un tractage aujourd'hui et demain à proximité du Palais Omnisports peuvent se manifester rapidement par courrier électronique: un rendez-vous sera convenu dans un lieu à déterminer.


20110907:
"Les Romains, en ces circonstances, agirent comme doivent le faire des princes sages, dont le devoir est de penser non seulement aux désordres présents, mais encore à ceux qui peuvent survenir, afin d'y remédier par tous les moyens que peut leur indiquer la prudence.
C'est en effet en les prévoyant de loin qu'il est bien plus facile d'y porter remède; au lieu que si on les a laissés s'élever, il n'en est plus temps, et le mal devient incurable. Il en est alors comme de l'étisie, dont les médecins disent que, dans le principe, c'est une maladie facile à guérir, mais difficile à connaître, et qui, lorsqu'elle a fait des progrès, devient facile à connaître, mais difficile à guérir.
C'est ce qui arrive dans toutes les affaires d'Etat : lorsqu'on prévoit le mal -de loin, ce qui n'est donné qu'aux hommes doués d'une grande sagacité, on le guérit bientôt; mais lorsque, par défaut de lumière, on n'a su le voir que lorsqu'il frappe tous les yeux, la cure se trouve impossible.
Aussi les Romains, qui savaient prévoir de loin tous les inconvénients, y remédièrent toujours à temps, et ne les laissèrent jamais suivre leur cours pour éviter une guerre : ils savaient bien qu'on ne l'évite jamais, et que, si on la diffère, c'est à l'avantage de l'ennemi."